Civile 1ère, 28 mai 2008

 

Commentaire d’arrêt : Civ. 1ère 28 mai 2008






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Les décisions récentes de la Cour de Cassation tendent à étendre de façon considérable le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, par un arrêt Cesareo du 7 juillet 2006, la Cour de Cassation avait jugé que le demandeur doit présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci.

Ce nouvel arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de Cassation le 28 mai 2008 s’inscrit dans cette lignée.

En l'espèce, le litige devant un tribunal arbitral concernait la résiliation d'un contrat de franchise et la dépose d'une enseigne en raison d'une clause de non réaffiliation. La question des dommages-intérêts consécutifs à cette rupture n'avait cependant pas été soulevée en première instance et c'est à l'occasion d'une autre instance consécutive à l'annulation de la sentence arbitrale que le franchiseur avait soulevé le moyen sur renvoi après cassation. Le franchisé soulève alors une fin de non-recevoir tirée de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation sur l’autorité de la chose jugée, que la cour d'appel avait cependant rejetée

Le fait de formuler, à l’occasion d’une nouvelle instance à un procès, une nouvelle demande, fondée sur une cause déjà débattue est il contraire au principe de l’autorité de la chose jugée ?

La Cour de cassation casse dans sa décision du 28 mai 2008 la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles au visa des articles 1351 du Code civil ainsi que de l’article 1476 du Code de procédure civile. Elle estime en effet que la décision rendue par le tribunal arbitral le 28 juin 1999 était revêtu de l’autorité de la chose jugée et que la société requérante ne pouvait pas formuler une nouvelle demande fondée une prétention différente mais fondée sur la même cause que celle d’une instance postérieure.

Par cette arrêt de sa première Chambre civile, la Cour de Cassation approfondi l’exigence de la chose jugée (I), utilisant le principe de concentration pour procéder à un filtrage accru des demandes d’actions en justice (II).






I. L’approfondissement de l’exigence de la chose jugée


Par cet arrêt du 28 mai 2008, la première Chambre Civile de la Cour de Cassation, spécialisée en procédure civile, pour appliquer le principe de la chose jugée à une nouvelle action en justice, reprend la solution jurisprudentielle du principe de concentration de moyens (A), et approfondie ce dernier en y ajoutant une exigence supplémentaire : la concentration des demandes (B).


A. L’application du principe jurisprudentiel de concentration des moyens



Les décisions récentes de la Cour de Cassation tendent à étendre de façon considérable le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, l’ Assemblée Plénière retient désormais qu’il incombe au demandeur de présenter dans la même instance l’ensemble des moyens de nature à fonder la demande (Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, arrêt Cesareo). C’est à dire qu’un demandeur « ne peut invoquer dans une instance postérieure un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever en temps utile ». Dans ces conditions, sous peine de se heurter au principe de l’autorité de la chose jugée, le demandeur doit former dans un procès toutes les demandes fondées sur la même cause, la cour régulatrice avait jugé que le demandeur doit présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. Autrement dit, il convient pour les avocats de n'omettre aucun moyen de droit dès le début de l'instance sous peine de ne pouvoir les invoquer ensuite dans le cadre d'une nouvelle action au cas où la première aurait échouée.


Désormais donc, la théorie de la concentration fait obligation aux parties de concentrer leurs moyens dans une même procédure car l’autorité de la chose jugée viendrait s’opposer à ce qu’un nouveau moyen soit invoqué pour obliger le juge à statuer de nouveau sur une même demande ; l’autorité de la chose jugée étant définie, par l’article 1351 du Code civil, à travers une triple identité, c’est-à-dire : l’identité d’objet, de cause et de parties.


En l’espèce, la Cour de Cassation reprend sa solution dégagée dans l’arrêt Cesareo, c’est à dire le principe de concentration des moyens, pour faire obstacle à la recevabilité d’une action en justice fondée sur une cause précédemment débattue en justice, justifié par l’autorité de la chose jugée. Tout fondement juridique qui n’avait pas été soulevé ne peut donc pas l’être postérieurement.

Il s’agit de l’application de la solution de l’arrêt Cesareo. Cependant, la première Chambre Civile innove et rajoute une exigence supplémentaire, en précisant «  il incombe au demandeur de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur la même cause ».



B. Une nouvelle interprétation de l’article 1351 : le principe de concentration des demandes


La Cour de cassation casse dans sa décision du 28 mai 2008 la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles pour violation des articles 1351 du Code civil ainsi que de l’article 1476 du Code de procédure civile. Elle estime en effet que la décision rendue par le tribunal arbitral le 18 juin 1999 été revêtu de l’autorité de la chose jugée et que la société PRODIM ne pouvait se prévaloir d’une nouvelle demande fondée une prétention différente mais fondée sur la même cause que celle d’une instance postérieure.

Allant plus loin encore que l’arrêt Cesareo (7 juillet 2006 Ass. Plèn.), la première chambre civile de la Cour de cassation a ajouté à cette obligation de “concentration des moyens”, une obligation de “concentration des demandes” qui s’imposerait aussi bien au cours d’une même instance, étatique ou arbitrale, cela toujours justifié par l’exigence de l’autorité de la chose jugée. Cette position de la première chambre civile ferait obstacle à la recevabilité de demandes différentes, dès lors qu’elle serait fondée sur la même cause.


Pour les faits d’espèce, cela signifie que le demandeur à l’exécution forcée d’un contrat doit nécessairement et simultanément demander des dommages-intérêts pour inexécution, sous peine de se heurter, lors d’une seconde instance, à l’autorité de la chose jugée.


Il s’agit d’une nouvelle exigence jurisprudentielle, qui approfondi celle posée par la jurisprudence Cesareo, en imposant un principe de concentration de demande.

Lors d’une action en justice, le demandeur doit donc d’une part « présenter toutes les demandes fondées sur la même cause » (principe de concentration des demandes), et d’autre part «  ne peut invoquer dans une instance postérieure un fondement juridique qu’il s’était abstenu de soulever en temps utile » (principe de concentration des moyens).


Il convient de s’intéresser aux raisons de telles exigences. Il apparaît que face à l’encombrement des juridictions, difficulté pratique tendant à devenir un véritable enjeu politique, les juges suprêmes tendent à orienter la justice vers un filtrage accru des actions en justice.




II. Le principe de concentration, technique jurisprudentielle face à l’encombrement des juridictions


Face aux difficultés des tribunaux de connaître des affaires dans des délais raisonnables, à cause de la multiplication des requêtes et de la complexité des procédures, la jurisprudence semble tendre vers un contrôle de recevabilité des actions en justice plus sévère, pour éviter leur accumulation sur les bureaux des magistrats.

En l’espèce, et pour répondre à cet enjeu, la première chambre civile, en plus d’instaurer le principe de concentration des demandes, innove et étend sa solution aux tribunaux d’arbitrages (A). Ce principe de concentration des moyens et des demandes, remède à l’encombrement des juridictions, reste néanmoins une solution discutable au vue du droit d’accès au juge (B).


A. L’extension de l’exigence jurisprudentielle aux tribunaux d’arbitrage


A cette innovation de la Cour de Cassation qu’est l’exigence de la concentration des demandes, l’arrêt de la première chambre civile du 28 mai 2008 ajoute un apport supplémentaire : l’extension de ces critères de recevabilité, découlant du principe de l’autorité de la chose jugée, aux tribunaux d’arbitrage.

En effet, en l’espèce, les instances précédentes étaient des instances arbitrales, dont la procédure avait était prévue par le contrat. La sentence arbitrale est rendue le 28 juin 1999, et sa contestation fait l’objet d’un pourvoi en cassation. La décision de la Cour de Cassation s’applique donc pour l’ensemble des tribunaux arbitraux, sa jurisprudence s’impose aux arbitres.


L'extension de cette jurisprudence à l'arbitrage est une solution pertinente compte tenu de la symétrie qui caractérise aujourd'hui les procédures devant le juge étatique et l'arbitre. La Cour de cassation, face à l’enjeu crucial de désencombrer les tribunaux et cherche à éviter que des plaideurs déboutés par une première procédure puissent réintroduire une action en justice grâce à de nouveaux arguments juridiques. Dès lors, l'arbitrage, véritable alternative juridique, qui soulage le rôle des tribunaux étatiques doit de la même façon être efficace et ne pas permettre de revenir ensuite devant le juge pour replaider la même affaire sous un angle juridique différent.


Désormais donc, les tribunaux arbitraux se devront d’appliquer la double exigence de concentration de moyens et de demande, sous peine de ne pas recevoir l’exéquatur étatique (se privant ainsi des moyens coercitifs étatif pour appliquer le jugement).


Malgré tout, si le désencombrement des tribunaux est un objectif louable, et pertinent en ces temps de polémiques, cette solution d’appliquer l’exigence de concentration de moyens et de demandes qui s’impose aussi bien au cours d’une même instance étatique ou arbitrale est néanmoins discutable quant au droit à l’accès au juge.


B. Une solution discutable quant au droit à l’accès au juge


En l’espèce, la demande de réparation en dommage et intérêt formée par la société requérante est écartée, cela étant justifié par la violation du principe de concentration des demandes.


L’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue; par un tribunal qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil », consacrant ainsi le droit au juge. Cependant, par une telle décision, on peut se demander si celui ci ne se rend pas inaccessible.


En effet, l’apparition d’exigences supplémentaires concernant la recevabilité des requêtes, sur le fondement de l’autorité de la chose jugée, pourrait s’analyser comme un renoncement progressif du juge à son office et un alourdissement des charges pour les parties et pour les avocats (qui doivent ainsi penser à tous les fondements juridiques pour leur cause !), ce qui limite le « droit d’accès au juge ». La théorie de la concentration fait en effet obligation aux parties de concentrer leurs moyens et leurs demandes dans une même procédure car l’autorité de la chose jugée viendrait s’opposer à ce qu’un nouveau moyen, une nouvelle demande soit invoquée pour obliger le juge à statuer de nouveau sur une même demande. L’autorité de la chose jugée étant définie, par l’article 1351 du Code civil, à travers une triple identité, c’est-à-dire : l’identité d’objet, de cause et de parties.

On peut citer la vision de Motulski, célèbre auteur de doctrine en procédure civile, et ainsi conjecturer qu’il aurait désavoué cette solution : « L'autorité de la chose jugée est limitée à la « question litigieuse », entendue comme « tout point qui a été contradictoirement débattu » et « véritablement tranché ». Les seuls critères de la chose jugée tiennent à la contestation par les parties et à sa solution par le juge. Tout ce qui a été contesté sans avoir été résolu et tout ce qui a été résolu sans avoir été contesté n'a pas autorité de chose jugée. » (Pour une délimitation plus précise de l'autorité de la chose jugée en matière civile, Dalloz 1958.)


De plus, cette solution est « rationnellement impossible » et revient implicitement à conférer à des motifs absents, ceux relatifs aux moyens qui auraient dû être invoqués, l’autorité de la chose jugée.


Enfin, on peut se demander si la concentration des demandes permet de réels gains de célérité pour les tribunaux. En effet, le juge, même s'il rejette la demande sur le fondement de la concentration des demandes, aura été saisi et le dossier examiné. Il n'y a donc pas véritablement d’économie des ressources humaines de la justice.


On ne peut pas non plus qualifier cette solution de déni de justice, puisqu’elle reste applicable pour les parties, mais cependant, on peut être heureux de l’existence de la Cour Européenne des droits de l’Homme, qui pourra tout de même assurer l’effectivité du droit au juge, ainsi défendu dans sa Convention.