Assemblée Plénière, 21 décembre 2007
Assemblée Plénière, 21 décembre 2007
Commentaire d’arrêt – Assemblée Plénière 21 décembre 2007
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« Da mihi factum, dabo tibi jus ». Si cet adage semble faire du droit l’apanage du juge, la portée de l’article 12 du code de procédure civile est longtemps restée sujette à controverse. Par son arrêt d’assemblée plénière du 21 décembre 2007, la cour de cassation tranche le débat, précisant de ce fait l’étendue de l’office du juge quant a la règle de droit.
En l’espèce, l’acquéreur d’un véhicule d’occasion assigne son vendeur, se prévalant de l’application de la garantie contractuelle et de l’existence d’un vice caché. Débouté par la Cour d’appel au motif que le fait que les réparations du véhicule aient été effectuées pendant la durée de la garantie conventionnelle ne suffisait pas a démontrer l’existence de vices cachés antérieurs a la vente, celui-ci se pourvoi en cassation, invoquant a son fondement l’article 12 du CPC, et notamment le fait que la Cour d’appel aurait du restituer leur exacte qualification au fait et actes litigieux sans s’arrêter a dénomination faite par les parties, et rechercher si l’action n’était pas possible sur un autre fondement juridique.
La question qui se pose est alors de savoir si, dans le cadre d’un procès civil, le fait pour le juge de changer la dénomination ou le fondement juridique d’une demande dont il est saisi constitue une obligation ou une simple faculté ?
Rejetant le pourvoi, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation estime que ce relevé d’office des fondements juridiques adéquats constitue non pas une obligation mais une simple faculté (I), permettant ainsi une clarification sur l’office du juge au procès civil (II).
I. La distinction entre l'obligation de requalification et la simple faculté du juge de relever d'office les bons fondements de droit
En rejetant le pourvoi, la cour de cassation est conduite a rappeler les principes directeurs du procès, et notamment la nécessaire requalification par le juge des faits et actes litigieux (A), apportant néanmoins une précision supplémentaire en distinguant le relevé d’office par le juge de la règle de droit, qui n’est qu’une simple faculté (B).
A. Le rappel de la nécessaire requalification par le juges des « faits et actes litigieux »
La cour de cassation énonce dans son attendu l'obligation de requalification des faits pour le juge « l'article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions »
L'article 12 alinéa 2 du Code de procédure civile énonce « Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. » Ainsi, la solution de l'assemblée plénière reprend l'article 12 pour consacrer l'obligation du juge de rechercher l'exacte qualification des faits que les parties ont invoqués.
De ce fait, il est acquis que dans l’hypothèse où les parties n’auront pas donné de qualification juridique a leur demande, c'est-à-dire, rattaché les faits a une catégorie juridique identifiée, le juge a l’obligation de qualifier les faits qui lui sont présentés.
De même, lorsque les parties ont proposé au juge une qualification erronée, le juge, qui connait le droit, conformément a l’alinéa 1er de l’article 12, a l’obligation de requalifier l’acte ou le fait litigieux. Cette obligation de requalification est cependant atténuée dans l’hypothèse prévue à l’alinéa 3 de ce même article, puisque les parties ont la possibilité, par un accord express, de lier le juge quant a la qualification, pour les droits dont elles ont la disposition.
Le juge a donc bien l’obligation, telle que prévue à l’article 12 alinéa 2 du Code de Procédure Civile, de donner ou de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé.
Par ce même attendu, l’Assemblée Plénière précise que le fait de changer d’office des fondements juridiques des demandes des parties ne constitue qu’une simple faculté.
B. La simple faculté du juge de changer d’office les fondements juridiques de demandes
En l’espèce, le demandeur au pourvoi invoque le fait que la Cour d’appel aurait du rechercher si l’action n’était pas possible sur un autre fondement juridique. Il estime que « la cour d'appel se devait de rechercher si son action n'était pas plutôt fondée sur le manquement du vendeur à son obligation de délivrance d'un véhicule d'occasion en excellent état général plutôt que sur la garantie des vices cachés ». De ce fait, le demandeur pense que le juge était tenu de relever d'office si les faits invoqués par lui, pouvait être reçu sous un autre fondement juridique celui qu'il avait énoncé. La cour de cassation rejette le pourvoi du demandeur en dissociant l'obligation du juge de requalification des faits et la simple faculté dans l'office du juge de relever les fondements juridiques adéquats.
La Cour de Cassation dans un objectif de dissociation entre obligation de requalification et le relevé de fondements juridiques par le juge va dans son attendu énonce qu'« il ne lui (le juge) fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ».
Ainsi, l'assemblée précise que le relevé des fondements juridiques adéquats des demandes des parties n'est qu'une faculté pour le juge, dans son office.
On note néanmoins que, tel que le précise la Cour de Cassation, cette faculté de relever d’office les fondements juridiques est conditionnée par des « règles particulières ».
La Cour de Cassation en parallèle du présent arrêt avait énoncé dans un arrêt de la troisième Chambre civile du 27 juin 2006 que le juge doit, en l'absence de fondement juridique invoqué par les parties, qualifier les faits invoqués par les parties afin de relever le fondement juridique appropriée aux faits. Ainsi, le principe de la simple faculté de relever les fondements juridiques adéquats ne s'applique qu'en présence d'un fondement juridique invoqué par les parties.
Cette faculté reste soumise, comme le précise la Cour de Cassation, à des règles particulières, notamment dans les cas ou la loi lui fait obligation de relever d’office, comme une règle de droit d’ordre public par exemple.
Cette distinction constitue une clarification de l’office du juge puisque, sans remettre en cause l’architecture même du procès, elle révèle la place du juge par rapport au droit tel que prévu par l’article 12 du Code de Procédure Civile.
II. Une clarification de l’office du juge au procès civil
Par cet arrêt du 21 décembre 2007, la Cour de Cassation, réunie en sa formation la plus solennelle, met fin à des évolutions jurisprudentielles assez confuse sur la question de l’interprétation de l’article 12 du Code de Procédure Civile (A). Cependant il convient d’analyser si cette décision ne soulève pas d’autres interrogations (B).
A. La fin de la confusion jurisprudentielle à propos de l’article 12 du Code de Procédure Civile.
En l’espèce, l’Assemblée Plénière, en précisant quelle est la place du juge quant au relevé d’office des moyens de droit met fin à de nombreux débats jurisprudentiels.
La jurisprudence a en effet longtemps débattu de savoir si le fait de relever d’office les moyens de droit par le juge constituait une simple faculté ou une obligation.
En effet, certains arrêts estimait que l'article 12 ne forme pas pour le juge un devoir de relever la bonne règle de droit applicable comme par exemple l'arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation du 4 novembre 1988. Mais d'autres arrêts ont énoncé l'inverse, en affirmant que le juge doit relever le bon fondement juridique et le substitué à celui invoqué par les partie comme l'arrêt de la première Chambre civile du 26 septembre 2006.
L'arrêt du 21 décembre 2007 rendu en Assemblé Plénière vient mettre fin à la querelle et préciser sa position en disant qu'en présence d'un fondement juridique invoqué par les parties, le juge à la faculté de relever les fondements juridique adéquats, malgré qu'il soit obligé de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ».
Cette distinction semblait s’imposer au regard de nombreux arguments, tenant notamment à la politique de désencombrement des juridictions, puisque imposer un tel relever comme une obligation aurait entrainé un énorme contentieux quant au manquement du juge à cet office pour les parties ayant perdu leur procès.
De plus, il semble inopportun d’imposer une telle obligation aux juges non professionnels, exerçant dans certaines juridictions d’exception. En effet obliger le juge non professionnel, qui n’a donc au préalable pas forcément reçu de formation juridique, a relever d’office une règle de droit, se serait certainement révélé compliqué, et aurait de ce fait également, multiplié le contentieux.
La doctrine salue également cette précision, à l’instar de Laura Weiller, professeur de droit à Marseille III : « Si la requalification, entendue comme le redressement des qualifications juridiques proposées par les parties et jugées erronées peut légitimement et sans inconvénient être considéré comme un véritable devoir pour le juge, poser en principe l’obligation de relever d’office des moyens de droit pourrait s’avérer inopportun car puissamment incitatif, pour les « professionnels du pourvoi », à reprocher aux juges du fond de ne pas avoir relevé de leur propre mouvement le ou les moyens de droit qui leur aurait permis de gagner »
C’est également le cas de Raymond Martin, enseignant à l’IEJ de la faculté de droit de Nice, qui veut aller plus loin en demandant l’interdiction complète de ce pouvoir du juge de relever des fondements juridiques, même si les parties n’en n’ont pas invoqués, car selon lui, « il est difficilement acceptable de voir un juge sauver une partie ».
Cette solution de précision de la Cour de Cassation est donc saluée et répondait à une réelle nécessité de clarification jurisprudentielle.
Cependant, cette solution présente certains aspects discutables.
B. Une solution de précision bienvenue mais néanmoins discutable
L’un des aspects critiquables de la solution posée par la cour de cassation dans son arrêt d’assemblée plénière du 21 décembre 2007 réside dans le fait que la possibilité de relever d’office la règle de droit, qui n’est donc pour le juge qu’une faculté, restreint la manifestation de la vérité juridique. En effet, si cette faculté n’est pas une obligation, certains fondements juridiques qui auraient été applicables aux faits d’espèce ne sont pas invoqués, ce qui est contraire à l’office première du juge qui est de faire régner la loi. Selon le professeur de l’Université de la Sorbonne Paris I Yves-Marie Serinet, une telle solution « laisse les parties au milieu du gués ».
De plus l’instauration d’une telle obligation aurait contribué à une meilleure égalité de tous devant le service public de la justice, puisque le droit est appliqué correctement et « complètement » à chaque litige.
On peut de surcroit penser que cette solution va entrainer, contrairement à une de ses intentions, de crée des contentieux supplémentaires, où il faudra distinguer la requalification du relevé d’office.
Par ailleurs, l’imposition d’une nouvelle obligation au juge de relever les fondements juridiques d’office aurait permis de « pallier » à l’obligation, jugée très stricte par de nombreux auteurs, révélée par la jurisprudence Cesareo, qui obligeait les avocats à n'omettre aucun moyen de droit dès le début de l'instance sous peine de ne pouvoir les invoquer ensuite dans le cadre d'une nouvelle action au cas où la première aurait échouée (A.P. 7 juillet 2006).
Plus largement, ce relevé d’office, faculté ou obligation, amène à se reposer un certain nombre de questions quant au respect des faits (principe dispositif), au respect des débats (principe du contradictoire) et de l’impartialité du juge.
Correction :
I. L’obligation de requalification des faits et actes litigieux
A. L’obligation de juger en droit
B. L’obligation de requalifier
Le jugement est un acte juridictionnel. C’est l’acte par lequel le juge va dire le droit.
Selon Cadiet et Geland, est juridictionnel l’acte du juge qui saisi d’une situation donné statue par application des règles de droit relativement à cette situation, peu important qu’il y ai litige ou pas, ni que le litige soit déclaré ou non. Peu important que le litige soit déclaré nul ?
C’est de l’obligation de juger en droit que découle l’obligation de requalifier. C’est parce que le juge doit juger en droit qu’il doit requalifier les faits (=opération mentale qui consiste à rattacher à une catégorie juridique préexistante l’élément à qualifier).
Litigieux = dès lors qu’il y a procès et contestation sur le fond du droit. Le juge a l’obligation de requalifier car les parties n’en n’ont l’obligation que lorsqu’elle prend la forme d’une assignation.
II. la simple faculté de relever d’office les moyens de droit
A. Une faculté sous réserve des règles particulières
B. l’après Cesareo