Civile 1ère 18 septembre 2008
Civile 1ère 18 septembre 2008
Commentaire d’arrêt : Civ.1 18 septembre 2008
***
Le droit français prévoit qu’il n’est pas possible de défendre un intérêt collectif, on ne peut défendre que son intérêt direct et personnel. Cependant une telle action est possible lorsqu’une association est habilitée par la loi à agir en justice. C’est par exemple le cas avec la loi du 5 janvier 1988 qui habilite les associations de consommateurs à agir contre les clauses abusives. Pour de nombreuses associations, privées de l’habilitation législative, l’action en justice est donc exclue, ce qui les prive d’un moyen de défendre leurs intérêts.
En espèce, une association X gérait un établissement qui recevait des malades atteints de myopathie. Mais à la suite de graves dysfonctionnement, certains malades résidents ont subi des préjudices.
Dès lors, une association contre la myopathie assigne l’ancien président de l’association X et son liquidateur judiciaire en dommage et intérêt.
L'arrêt de la Cour d'Appel de Paris, rendu le 6 octobre 2006, a déclaré la demande irrecevable étant donné que les statuts de l’association ne prévoient nullement qu'elle aurait pour but ou pour moyen d'action d'ester en justice pour la défense des intérêts des malades.
L’association forme un pourvoi en cassation et soutient que en dehors même de toute habilitation législative, une association personne morale peut agir en justice pour la défense des intérêts collectifs qui entrent dans son objet social, que la seule mise en cause d’un tel intérêt donnant qualité à l’association pour agir.
Cet arrêt envisage ainsi la recevabilité des actions en justice de défense d’intérêts collectifs, en particulier à propos des associations.
Une association, selon la loi de 1901, peut-elle agir en justice pour défendre des intérêts collectifs, en dehors d’une habilitation législative et en l’absence de toute indication de l’action en justice comme moyen d’action de celle ci dans ses statuts ?
La Cour de Cassation, par cet arrêt du 18 septembre 2008 répond favorablement à la position défendue par l’association en admettant que même hors habilitation législative, et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social.
Cet arrêt opère un important changement dans le paysage de la défense d’intérêts collectifs, en assouplissant la recevabilité de l’action en justice des associations (I), à travers l’élargissement de la notion d’intérêt à agir de ces dernières (II).
I. Un assouplissement de la recevabilité de l’action en justice des associations
La défense d’intérêts collectifs par une association est une opération assouplie par ce revirement de jurisprudence (A), qui consiste en une évolution des conditions de recevabilité des demandes d’action en justice de celle ci (B).
A. La défense d’intérêts collectifs par une association
Le droit français confère la qualité à agir en justice pour la défense d’intérêts directs et personnels, la défense d’intérêts collectifs est donc, par principe, exclue.
Par exception, le législateur autorise la défense d’intérêts collectifs dans pour deux situations. Tout d’abord l’action syndicale, avec la loi du 12 mars 1920 consacrant la possibilité pour un syndicat de défendre un intérêt collectif. D’autre part, une association, dans les cas où le législateur a expressément habilité celle ci à agir en justice pour défendre des intérêts collectifs, ce a quoi la jurisprudence a ajouté un critère supplémentaire : la prévision de l’emprunt de voies judiciaires dans ses statuts.
L'article premier de la loi du 1er juillet 1901, cité au visa de la décision, définit ce qu'est une association. Ainsi par association, il faut entendre une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d'une façon permanente leur connaissance ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices.
En l’espèce, l’Association n’avait pas prévu dans ses statuts l’emprunt de voies judiciaires parmi ses moyens d’actions pour défendre ses intérêts, ce qui pousse la Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 6 octobre 2006 a déclarer irrecevable sa demande concernant la réparation de préjudices subis par un de ses membres.
La Cour de Cassation, par son arrêt rendu par sa première chambre civile le 18 septembre 2008 casse ce dernier en opérant un revirement de jurisprudence : désormais, une association peut valablement agir en justice même hors habilitation législative et en l’absence d’indication sur ses statuts de la possibilité de recours aux voies judiciaires.
Cette décision de la Cour de Cassation est une avancée considérable dans la défense d’intérêts collectifs par les associations, puisque l’assouplissement des conditions précédemment retenues pour accueillir une demande d’action en justice par une association permet à ces dernières qui ne remplissaient pas ces critères, de pouvoir envisager l’ester en justice.
Cet assouplissement passe par l’écartement des conditions précédemment usitées, citées par la Cour d’Appel de Paris dans l’arrêt censuré.
B. L’exclusion des conditions jurisprudentielles et législatives
En l’espèce, la Cour de Cassation écarte les deux conditions érigées par le législateur et la jurisprudence.
En effet, la défense d’intérêts collectifs par une association n’était auparavant possible que si elle avait été habilitée par le législateur. Une telle condition était véritablement très restrictive. Les associations habilitées à agir par le législateur sont rares, notamment à cause de la distance politique entre celles ci et le pouvoir législatif, due en particulier à la peur des mouvements associatifs. Ce dernier est pourtant intervenu pour favoriser l’action des associations dans certains domaines, notamment pour soutenir des politiques dans des domaines particuliers. On peut par exemple citer un exemple de type d’association que le législateur a habilité à agir en justice. Il s’agit de la loi du 5 janvier 1988 qui habilite les associations de consommateurs à agir contre les clauses abusives.
Pourtant, par cet arrêt du 18 septembre 2008, la Cour de Cassation supprime cette condition : « même hors habilitation législative (…) une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs (…) ».
Il n’est donc plus nécessaire d’avoir une loi d’habilitation, cette condition est obsolète.
D’autre part, la 1ère Chambre civile écarte également la condition jurisprudentielle : la référence prévisionnelle, dans les statuts de l’association, de l’emprunt de voies judiciaires comme moyen de défense des intérêts de cette dernière.
Cette condition, moins contraignante que la précédente, empêchait néanmoins la recevabilité des actions en justice des associations qui n’avait pas prévu cet impératif. C’est ce qui s’est produit en l’espèce, lors de l’examen de recevabilité de la demande par les juges d’appel de la Cour d’Appel de Paris.
La suppression des conditions législatives et jurisprudentielles précédemment évoquées entraîne indiscutablement un assouplissement des conditions de recevabilité des actions en justice des associations. Pour autant, la Cour de Cassation ne supprime pas le contrôle des actions en justice d’une association en précisant un nouvel impératif concernant son intérêt à agir : la conformité des intérêts défendus avec son objet social.
II. L’élargissement de la notion de l’intérêt à agir des associations
Conscient du phénomène jurisprudentiel actuel qui tend vers une facilitation d’accès aux tribunaux pour les associations, la Cour de Cassation opère ainsi un revirement de jurisprudence pour permettre à ces dernières de voir les conditions de recevabilité de leurs demandes assouplies. Cet assouplissement a été réalisé par la suppression des critères législatifs et jurisprudentiels et la création d’une nouvelle condition de recevabilité : la conformité des intérêts défendus avec l’objet social de l’association (A). La portée d’une telle évolution de la recevabilité des actions de défense d’intérêts collectifs peut s’envisager à travers un certain nombre d’effets juridiques et politiques (B).
A. Le rapprochement de l’intérêt à agir à l’objet social
Par cet arrêt, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a opéré une évolution dans les critères de recevabilité des actions en justice des associations.
En effet, ce revirement jurisprudentiel supprime les exigences d’habilitation législative et d’indication statutaire des recours aux voies judiciaires, pour exiger désormais la conformité des intérêts défendus avec l’objet social de l’association.
L’objet social pourrait être défini par la nature, le domaine et le programme de cette dernière.
Il y a donc un rapprochement par les juges suprêmes de l’intérêt à agir, condition de l’action en justice, avec l’objet social de l’association, qui est sa raison d’être.
Le mécanisme juridique est intéressant : à la base de l’examen de recevabilité d’une action en justice, il s’agit de vérifier un certains nombre d’éléments (Intérêt à agir, qualité à agir, prescription et chose jugée) dont le non respect conduit à une fin de non recevoir. L’intérêt à agir consiste en l’avantage pécuniaire ou moral que l’on veut retirer de l’action en justice. Ici, le mécanisme mit en place substitue l’intérêt collectif à l’intérêt à agir, puisque c’est de cela dont il s’agit dans le cadre des actions des associations, mais cet intérêt collectif est lui même subrogé par sa conformité à l’objet social de l’association, tel que le prévoit la Cour de Cassation dans sa solution.
On peut conjecturer que la condition ainsi posée par la Cour de Cassation sera aisément remplie, puisque généralement, les associations agissent en justice pour défendre les intérêts qu’elles promeuvent, tel que définit dans leur objet social.
La défense des intérêts collectifs par une association peut donc être une action en justice recevable si, entre autre, ces intérêts défendus entre dans son objet social.
B. Le bouleversement de la défense des intérêts collectifs en France
La portée de cet arrêt est finalement considérable, puisqu’elle élargit le champ d’action de nombreux mouvements associatifs en leur permettant l’ouverture des voies judiciaires, auparavant tributaire d’une considération législative. Cela permet une défense renforcée des intérêts collectifs, auparavant difficilement défendables par ce type d’action.
Cependant si la notion d’intérêt à agir se confond, pour les associations non habilitées, avec leur objet social, qu’en est-il des associations habilitées ? Leur appliquer une telle solution revient en effet à ôter un certain sens à la procédure d’habilitation législative.
Supprimer l’habilitation législative entraine également un risque d’actions en justice contradictoire. Comme il n’y a pas de contrôle des associations désormais, alors on peut avoir plusieurs associations qui défendent le même objet et le même intérêt collectif, ce qui peut amener des décisions contradictoires de la part de juridictions différentes, portant ainsi atteinte à la cohérence du notre droit.
De plus, cet arrêt soulève également des interrogations relatives à la notion d’intérêt collectif par rapport à celle de l’objet social de l’association. La conformité des intérêts défendus par les associations avec leur objet social n’est qu’une question de forme, l’objet social étant modifiable, cependant la question de la conformité de ce dernier avec les intérêts collectifs, ce qui est sensiblement différents, peut se poser.
Enfin, en ces temps polémiques où les tribunaux croulent sous les dossiers, il y a également un risque d’inflations des actions en justice en ouvrant ainsi la voie aux actions associatives. Cependant, de manière générale les mouvements associatifs disposent de moyens limités, ce qui, mit en parallèle avec les coûts élevés de l’action en justice réduit concrètement les risques.
L'action en justice des associations est donc désormais recevable même en l'absence d'habilitation législative et même "en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires". Autrement dit, le juge civil ne peut pas déclarer irrecevable une action en justice formée par une association si celle-ci ne dispose pas d'un agrément et/ou d'une disposition statutaire prévoyant "l'action en justice" parmi ses moyens d'action. Une nouvelle condition est fixée pour son examen de recevabilité : la conformité des intérêts ainsi défendus avec l’objet social de l’association.
De manière générale, cet assouplissement des conditions de recevabilité permet d’élargir le champ d’action de nombreux mouvements associatifs, rapprochant ainsi le droit français des modèles anglo-saxons. Une telle évolution jurisprudentielle sur l’action en défense d’intérêts collectifs peut conduire à relancer le débat sur l’introduction de « class action » en France.