Commentaire d’arrêt – CE 23 octobre 2000
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La théorie de la voie de fait est largement utilisée par les justiciables en cas de recours contre l’administration. Son champ d’action est souvent mal définis, ce à quoi un arrêt du Tribunal des Conflits du 23 octobre 2000 tente de remédier.
Cet arrêt concernant la légalité d’un refus de visa a été rendu le 23 octobre par le tribunal des conflits. Un ressortissant étranger s'est vu refuser la délivrance d'un visa alors qu'il était appelé a comparaitre devant la justice.
Il souhaite contester la décision administrative sur le fondement de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entame une procédure face au ministre des affaires étrangère devant le tribunal de grande instance de Paris. Par un jugement du 18 juin 1999, le Tribunal de Grande Instance de Créteil statuant en matière correctionnelle a condamné M. Boussadar à une peine d'emprisonnement d'une durée de trois mois ainsi qu'à une peine complémentaire d'interdiction de territoire. Le 12 octobre 1999 M. Boussadar a fait appel de cette décision au motif qu'au vu de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision porterait atteinte au droit à un procès équitable. Dans sa décision du 19 avril 2000 la Cour d'appel de Paris, sans la présence de l'intéressé, a affirmé que la décision administrative contestée ne portait pas atteinte au droit a un procès équitable et que le refus de visa ne saurait être insusceptible de se rattacher a un pouvoir de l'administration. Le 23 mars 2000 le Consul Général de Fès (Maroc) a refusé la délivrance du visa nécessaire à M. Boussadar pour comparaitre. Le 14 avril 2000 dans son déclinatoire le préfet de police tend à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente. Le tribunal de grande instances de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence et a ordonné la délivrance du visa a M. Boussadar par une ordonnance du 18 avril 2000. Le 2 mai 2000 le préfet de police élève le conflit de compétence. Le 24 mai 2000 le tribunal de grande instance de Paris sursoit à toute procédure. Le 21 juin 2000 l'affaire est transmise par le garde des sceaux au tribunal des conflits.
M. Boussadar demande l'annulation de l'arrêté de conflit au motif que sa présence était obligatoire et que le refus de visa constitue un obstacle au droit de la défense.
Le 13 juillet le Ministre des affaires demande la confirmation de l'arrêté de conflit au motif qu'il n'y a pas d'atteinte à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car M. Boussadar pouvait être représenté et que la compétence de l'autorité consulaire en matière de visa lui était conféré par la loi.
Le refus de délivrance de visa par l’administration constitue il une voie de fait ?
Le tribunal des conflits statue en faveur du ministre des affaires étrangère; il confirme l'arrêté de conflit rendu par le préfet de police du 2 mai 2000, annule les procédures engagés par M. Boussadar à l'encontre du ministres des affaires étrangère ainsi que l'ordonnance du juge des référés du 18 avril 2000.
Cette solution du Tribunal des Conflits maintien et simplifie la théorie de la voie de fait (I) tout en en reprécisant les limites (II)
I Le maintien de la théorie de la voie de fait
A. La théorie de la voie de fait
-Théorie de Maurice Hauriou définition
Utilisation en l’espèce de cette théorie.
1) Voie de fait par manque de procédure
Il y a d’une part la voie de fait « par manque de procédure » qui se rattache aux cas où l’administration procède à l’exécution forcée d’une décision, même régulière sans que les conditions requises à cette fin ne soient réunies, et porte une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale. (TC 2 décembre 1902 – Sté immobilière de Saint Just).
2) Voie de fait par manque de droit
Il y a d’autre part la voie de fait par « manque de droit » qui résulte d’une décision administrative qui porte, indépendamment des conditions dans lesquelles elle est exécutée, gravement atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale et qui n’est manifestement pas susceptible d’être rattachée à un pouvoir de l’administration.
Il arrive également que la voie de fait résulte à la fois de la décision elle même et de son exécution irrégulière. (TC 8 avril 1935 – Action Française).
B. Simplification
-Reprise de la distinction de Maurice Hauriou
-Synthèse des conditions
« La voie de fait est reconnue lorsque l’administration a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale; ou lorsque l’administration a pris une décision ayant l'un ou l'autre de ces effets à la condition toutefois que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative »
3 éléments :
1) Atteinte grave
TC – 12 mai 1997 – Préfet de police de Paris
2) Droit de propriété ou liberté fondamentale
-définition/consécration article ? de la DDHC
-Principe constitutionnel
3) Une décision manifestement pas rattachable à l'une des prérogatives de l'administration
TC 1986 Eucat contre TPG : il y a voie de fait quand il y a impossibilité de rattacher le comportement de l’administration à l’exercice d’un pouvoir reconnu à l’administration dans l’exercice de fonctions données
II. La compétence exclusive du juge administratif pour juger l’administration
A. La distinction voie de fait et référé-liberté
- Le TC rejette la compétence de la juridiction judiciaire, alors que pour les voies de fait elle est compétente (arrêt Action Française TC 1935).
- Rappel : la compétence exclusive du juge administratif en matière de contrôle de légalité des actes administratifs
- En l’espèce il s’agit d’un référé liberté : Le juge a vocation a traiter dans le cadre du référé liberté que le contentieux pour lequel l’ordre administratif auquel il est rattaché est compétent c'est-à-dire excluant la voie de fait
- Le référé liberté correspond aux atteintes grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale commise par l’administration dans l’exercice de ces pouvoirs alors que la voie de fait intervient quand l’administration porte atteinte aux libertés fondamentales ou au droit de propriété en sortant manifestement de ses pouvoirs.
- Donc ici c’est à l’administration de juger de l’administration. La voie de fait ne s’applique donc pas au référé liberté. Compétence de la juridiction administrative.
B. Le caractère discutable de la résolution juridique de l’affaire
- Impossibilité en l’espèce pour l’individu d’assister à son procès
⎝non respect à un procès équitable article 6-1 CEDH
- procédure complexe pour une affaire simple
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